François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, 1ère méditation, extrait

En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourra paraître incongru, inconvenant, voire provocateur.
Presque un scandale.
Mais en raison de cela même, on voit qu'à l'opposé du mal, la beauté se situe bien à l'autre bout d'une réalité à laquelle nous avons à faire face. Je suis persuadé que nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constitue les extrémités de l'univers vivant : d'un côté, le mal ; de l'autre, la beauté.

Le mal, on sait ce que c'est, surtout celui que l'homme inflige à l'homme. Du fait de son intelligence et de sa liberté, quand l'homme s'enfonce dans la haine et la cruauté, il peut creuser des abîmes pour ainsi dire sans fond, ce qu'aucune bête, même la plus féroce, ne parvient à faire. Il y a là un mystère qui hante notre conscience, y causant une blessure apparemment inguérissable.
La beauté, on sait aussi ce que c'est. Pour peu qu'on y songe cependant, on ne manque pas d'être frappé d'étonnement : l'univers n'est pas obligé d'être beau, et pourtant il est beau. A la lumière de cette constatation, la beauté du monde, en dépit des calamités, nous apparaît également comme une énigme.

Que signifie l'existence de la beauté pour notre propre existence? Et en face du mal, que signifie la phrase de Dostoïevski : "La beauté sauvera le monde"?
Le mal, la beauté, ce sont là les deux défis que nous devons relever. Ne nous échappe pas le fait que mal et beauté ne se situent pas seulement aux antipodes : ils sont parfois imbriqués.



françois cheng.jpg, mar. 2021