Yuval Noah Harari, Sapiens, une brève histoire de l'humanité
Et ils vécurent heureux
Selon le bouddhisme, la plupart des gens identifient le bonheur à des sentiments plaisants, et la souffrance à des sentiments déplaisants. De ce fait, les gens attachent une importance immense à ce qu'ils ressentent et sont avides de connaître toujours plus de plaisirs et d’éviter la douleur. Quoi que nous fassions au fil de notre vie -nous gratter la jambe, pianoter la chaise ou livrer des guerres mondiales-, nous essayons juste de nous procurer des sensations agréables.
Le problème, selon le bouddhisme, c'est que nos sentiments ne sont rien de plus que des vibrations fugitives, qui changent à chaque instant, telles les vagues de l’océan. Voici cinq minutes, j'étais joyeux et déterminé, mais ces sentiments ont disparu, et je pourrais bien me sentir triste et abattu. Si je veux connaître des sentiments plaisants, il me faut donc être constamment à leur poursuite, tout en chassant ceux qui sont désagréables. Même si j'y réussis, tout est a aussitôt à recommencer, sans que je sois jamais récompensé durablement de ma peine.
A quoi rime de remporter des prix aussi éphémères? A quoi bon s’acharner à décrocher une chose qui disparaît presque sitôt apparue? Selon le bouddhisme, la racine de la souffrance n'est ni le sentiment de peine ni celui de tristesse, voire d’absence de sens. La véritable racine est plutôt cette poursuite incessante et absurde de sensations éphémères qui nous mettent dans un état permanent de tension, d'agitation et d'insatisfaction. De fait de cette poursuite, l’esprit n'est jamais satisfait. Quand bien même il éprouve du plaisir, il n'est pas content, parce qu'il a peur qu'il ne dure pas et voudrait tant que cette expérience se prolonge et s'intensifie.
Les gens sont libérés de la souffrance non pas quand ils éprouvent tel ou tel plaisir fugitif, mais quand ils comprennent l'impermanence de leurs sensations et cessent de leur courir après. Tel est l’objectif des pratiques de méditation bouddhistes. Qui médite est censé observer de près son esprit et son corps, suivre l’apparition et la disparition de tous ses sentiments et comprendre combien il est absurde de les poursuivre.
Quand la poursuite cesse, l'esprit et détendu, clair et comblé. Toutes sortes de sentiments ne cessent de naître et de passer - joie, colère, ennui, concupiscence -, mais dès l'instant où vous cessez de courir après, vous pouvez les accepter pour ce qu 'ils sont. Vous vivez dans l’instant présent au lieu de fantasmer sur ce qui aurait pu être.
Christophe André, Abécédaire de psychologie positive
Grincheux désagréables
Les grognons m'ont longtemps agacé. Ne pas être capable de faire l'effort minimum de la courtoisie et de la politesse, l'effort d'un regard amical et d'un sourire, tout de même !
Puis, ça m'a passé. J'ai compris que cela n'empêchait pas d'autres qualités. Depuis, je m'imagine volontiers que le caractère de certains grincheux (ne pas s'encombrer des convenances sociales, ne pas se laisser impressionner par les règles sociales) est peut-être aussi l’expression d'une forme de liberté et cache peut -être un courage revêche : ce grincheux qui ne me salue pas serait peut-être celui qui me sauverait la vie pendant la guerre, celui qui me cacherait de l'ennemi. Et qui refuserait ensuite, toujours aussi revêche, mes remerciements, ma gratitude...
Christophe André, La vie intérieure, "Le petit coin"
"De toute évidence, le Créateur, en concevant l'organisme humain, a compris qu'il valait mieux pour nous que certaines fonctions pussent s'accomplir d'elles-mêmes ; il n'est que trop clair que si on nous avait laissés régenter librement nous-mêmes des fonctions telles que la respiration, le sommeil ou la défécation, certains d'entre nous cesseraient de respirer, de dormir ou d'aller aux cabinets.
Il y a une foule de gens, et qui ne sont pas tous enfermés dans un asile, qui ne voit pas de raison pour que nous mangions, dormions, respirions, ou allions au water-closet. Non contents de mettre en question les lois qui gouvernent l'univers, ils mettent en question aussi l'intelligence de leur propre organisme (...).
Ils considèrent les exigences du corps comme autant de temps perdu. Comment passent-ils donc leur temps, ces êtres supérieurs? Est-ce parce qu'il y a tant de "bon travail" à faire qu'ils ne voient pas l'utilité de passer du temps à manger, à boire, à dormir, ou à aller au water-closet?". Henry Miller, Lire aux cabinets
Quoi de plus éloigné, en apparence, du monde délicat de la vie intérieure que l'environnement trivial des cabinets et autres lieux dits "d’aisance"? Mais à y bien réfléchir, les choses sont plus subtiles , et les liens plus étroits qu'un regard lointain et condescendant ne pourrait le faire croire. Car tout ce dont la vie intérieure a besoin s'y trouve : le calme et la solitude, la possibilité de recueillement et l’absence de sollicitations extérieures...
Le peuple japonais, dans son grand raffinement, ne s'y est pas trompé : on trouve souvent dans ce pays les toilettes les plus accueillantes et confortables qui soient, dotées d'un abattant de cuvette pouvant être réchauffé, d'un clavier de commandes déclenchant des jets d'eau ou d'air agréablement tiède, voire toute une gamme de sons masquant les bruits inconvenants. (...)
Voilà pourquoi il serait à mon sens bien dommage de ne pas cultiver un art de la vie intérieure au cabinets. Il convient évidemment de ne surtout pas y téléphoner, mais aussi de choisir parfois de ne pas y lire !
Se contenter de ressentir, de réfléchir, de savourer cet instant de pause, loin du tumulte du monde. Se réjouir de disposer d'un corps, un corps capable de tirer tout seul le meilleur de ce que nous lui offrons à manger et à boire, et d'en restituer ensuite la part inutile. Après tout, notre vie intérieure dépend aussi de ce corps, du soin que nous lui accordons, du ben-être que nous lui permettons.
Et puis, nous sommes dans ces lieux en bonne compagnie : bien des poètes et des philosophes se sont donné la peine de réfléchir et d'écrire sur ce sujet.
On se souvient des alexandrins ludiques et réalistes de Musset : "Vous qui venez ici dans une humble posture / De vos flancs alourdis décharger le fardeau, (...)."
Et de Montaigne, qui rappelait dans ses Essais :"Sur le plus haut trône du monde, on n'est jamais assis que sur son cul".
L'art véritable est sans but et sans intention.
Plus obstinément vous persévérerez à vouloir apprendre à lâcher la flèche en vue d'atteindre sûrement un objectif,
moins vous y réussirez,
plus le but s'éloignera de vous.
Prenez la main de votre enfant et invitez le à sortir et à vous asseoir avec vous sur l'herbe.
L'un et l'autre aurez peut-être envie de contempler l'herbe verte,
les petites fleurs, le ciel.
Respirer et sourire ensemble, voilà ce qu'est l'éducation pour la paix.
Si nous savons apprécier ces choses simples mais très belles, nous n'aurons à rechercher rien d'autre.
La paix est accessible à tout instant, en chaque respiration, en chaque pas.
Jacques Castermane, La Sagesse exercée
Récit de l'auteur qui suivra l'enseignement de Karlfried Graf Dürckheim pendant
plus de 20 ans.
La Voie de la technique
La Voie de la technique est exigeante.
La technique doit d'abord être apprise.
Ensuite il vous est demandé de maîtriser ce que vous avez appris.
L'étape suivante est la maîtrise parfaite de ce que vous maîtrisez.
Cet effort, qu'Épitecte souligne comme incontournable pour accéder à la paix de
l'âme, conduit à la mort du Moi. C'est à dire à la mort de tout ce qui est
voulu, intentionné.
A la mort du désir de réussir et de la crainte d'échouer.
A la mort du MOI-JE-VEUX / MOI-JE-NE-VEUX-PAS.
C'est à ce moment que la technique, parfaitement maîtrisée devient, et
est,
ce que le maître de tir à l'arc appelle "une manifestation de la vérité de la
vie".
L'action, libérée des interférences d'un Moi intentionné, craintif,
orgueilleux, réactif,
est pure comme est pur le geste de la fleur qui s'ouvre.
L'action est le reflet d'un homme libéré, d'un homme en paix.
Jacques Castermane, La Sagesse exercée
Récit de l'auteur qui suivra l'enseignement de Karlfried Graf Dürckheim pendant plus de 20 ans.
(J. Castermane à K.G. Dürckheim)
Un jour je lui avoue que, en répétant toujours, toujours et encore, la même chose,
j'ai l'impression de tourner en rond.
Il me regarde en souriant et me dit " je suis heureux de vous entendre dire ça,
parce que lorsqu'on tourne en rond, on approfondit le rond dans lequel on tourne".
Je souris intérieurement en me souvenant de cette curieuse idée
que pour être efficace il faut apprendre par coeur une centaine de techniques.
Désormais je pratique dans un tout autre état d'esprit :
"En renouvelant toujours la même technique,
arrive le moment où il n'y a plus rien à faire.
C'est là qu'on laisse faire une force plus profonde".
Cyrille Javary : Sinologue, écrivain, conférencier, consultant en culture chinoise ancienne et moderne, j’ai consacré ma vie à la compréhension et à la diffusion de la civilisation chinoise. J’ai traduit le Yi Jing, « Le classique des changements », et fondé le Centre Djohi pour l’étude et l’usage du Yi Jing"
"J'ai appris, dit le petit Prince, que le Monde est le miroir de mon Âme...
Quand elle est enjouée, le Monde lui semble gai.
Quand elle est accablée, le Monde lui semble triste.
Le Monde, lui, n'est ni triste, ni gai.
Il est là, c'est tout.
Ce n'était pas le Monde qui me troublait, mais l'idée que je m'en faisais...
J'ai appris à accepter sans le juger, totalement, inconditionnellement..."